Le cycliste et les films mobiles

 

/spe.si.men/ Manu Bonmariage, cinéaste situationniste

Dans une cuisine, au milieu des odeurs de cuisson de fin de journée. L’homme avec qui nous avons rendez-vous est bien en retard. Sa compagne, Marguerite, coupe de l’ail et nous raconte une première anecdote, histoire de tuer le temps. « Il y a quelques années, après avoir brûlé un feu rouge à vélo, Manu est emmené de force au poste de police le plus proche. Le commissaire demande qu’on le relâche immédiatement. Il avait reconnu le réalisateur d’Allo Police, un film très apprécié dans la profession car il montrait leur quotidien et leurs difficultés, le fait qu’ils devaient sans cesse jouer les assistants sociaux… »

Manu arrive enfin et embraie sur la thématique du cycliste casse-cou. « Il y a peu, à la fin d’un tournage, je me suis fait faucher à vélo par une Jaguar – au moins, j’ai pu choisir la voiture (rires) – et j’ai failli crever. Je suis resté quelques jours à l’hôpital entre la vie et la mort, ça m’a donné envie d’en faire un film, de ‘frôler la mort’ par un film. »

Car chez Manu, derrière chaque film se cache un « mobile ». « Je recherche surtout une ‘situation’ qui nécessite d’être clarifiée, étudiée, regardée et qui fera que le public s’y reconnaîtra. Ce sont les situations où l’on n’est pas tout blanc ou tout noir. Je ne pratique pas beaucoup d’interview mais celles qui m’intéressent mettent les personnages en état de questionnement intérieur, qu’ils retrouvent leur état naturel. »

‒ Comment y parvenir ?

‒ Il faut s’intéresser à eux, les rencontrer, y aller de façon simple et progressive, faire en sorte qu’ils s’habituent à la caméra… J’ai vite compris que mon travail devait résider dans le plan-séquence : il y a parfois des étincelles, des choses plus « vraies », c’est ce qui donne de la signification aux choses et c’est un peu le métier de cinéaste documentaire, bien que ce soit un mot que je n’apprécie pas beaucoup…

‒ Pourquoi ?

‒ Je ne sais pas… j’ai un peu l’impression d’être à la police, de devoir prendre des notes….

‒ C’est trop sérieux ?

‒ Disons que je n’aime pas ce mot… ça sonne comme registre, papiers, bureaucraties…

‒ Comment qualifier votre cinéma alors ?

‒ Pour moi, le cinéma de fiction, c’est le cinéma du « je » : le spectateur s’identifie aux personnages. Le documentaire, c’est plutôt « l’autre », celui que l’on regarde. Moi, j’ai toujours trouvé plus intéressant d’essayer de filmer le « nous » : je me filme moi et les autres. Le cinéma direct, c’est « je suis comme toi », une sorte d’intégration par l’accompagnement cinématographique. Les personnages que vous filmez, avec qui vous formez une société momentanée, le sentent.

 

 


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