Se raconter des histoires

 

/spe.si.men/ Charles Declercq, cinéphile en soutane

Tout commence par un malentendu. Juste une question pour poser le contexte, «comment êtes-vous devenu prêtre?», et Charles Declercq se lance dans une narration effrénée de sa vie. Dans le moindre détail.

Pendant une cinquantaine de minutes, il nous emmène dans sa jeunesse picaresque, remplie de personnages hauts en couleur et d’aventures improbables. Chassé de sa ferme natale par une mère toxique, recueilli par un curé concupiscent à ses heures, l’exploitation subie par des directeurs sans vergogne dans une tôlerie et une briqueterie, jeune premier au théâtre, logements insécurisés et autres plans foireux, chômeur puis fonctionnaire «tricoteur» au Ministère des finances, démêlés avec un boulanger blanchisseur de farine, apprenti preneur de son, enquêter dans une église et trouver la foi…La tête me tourne. Toutes ces péripéties dickensiennes, que Charles me présente comme sa «richesse», me font perdre le fil. Impression terrible de rater mon interview que j’espérais orienter sur cet improbable mélange de genre curé/critique de cinéma qui lui est propre. Je ne comprends pas tout de suite que derrière son récit, c’est un véritable film qu’il nous projette avec ses rebondissements, ses accélérations et ses ralentis, ses flashbacks et ses ellipses… Un parfait écho à son amour inconditionnel du cinéma. Mais ça, je ne le saisirai que bien plus tard durant l’entretien, lorsque Charles me parlera de sa conception de la prêtrise.

‒ La prêtrise, c’est secondaire. En fait, pour moi, être prêtre, c’est aider les gens à se débarrasser de gens comme moi.

‒ Les rendre libres?

‒ Exactement. Leur ouvrir les écritures, leur expliquer ce qu’il y a là derrière. Si Jésus de Nazareth a existé, je pense que c’est probable, ce que l’on raconte de lui est une narration qui serait du cinéma aujourd’hui. Ou du rap comme le disent les jeunes. Ces récits ont une construction littéraire et théologique.

Plus loin dans la conversation, je retrouve cette idée quand Charles insiste sur son intégrité de critique de cinéma, s’interdisant d’être péremptoire. «Personne ne fait un film pour faire de la merde. Parfois, c’est de la merde, c’est vrai, mais le mec n’avait pas envie d’en faire. Qui suis-je alors pour démolir? Par exemple, lorsqu’il s’agit d’un film de superhéros, je m’abstiens d’en parler car je ne connais pas l’univers. Mais je vois des jeunes, des fans, qui maîtrisent ces univers sur le bout des doigts, la mythologie, les interactions avec les personnages. Le cinéma était au départ de la culture populaire et, il ne faut pas se leurrer, c’est d’abord pour faire du fric. Mais si en même temps on fait plaisir aux gens en leur racontant des histoires – avant, on le faisait bien pour les enfants avant d’aller dormir –, il vaut mieux ça que d’aller se battre ou se faire sauter sous une bombe, non? »

 



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