« C’est nous-mêmes que nous sommes en train de détruire »
Malmené par des bourrasques hivernales, les pieds qui s’enfoncent dans une boue glacée, je tente de ne pas m’étaler lorsque je relève la tête pour contempler les vastes étendues d’herbes tout autour de nous, et par-delà les immeubles de Bruxelles.
Nous sommes au cœur de la friche Josaphat. Qui pourrait croire, au premier abord, qu’il s’agit d’une zone essentielle en termes de biodiversité ?
« Regardez, des chardonnerets ! nous indique soudainement Thomas. C’est un oiseau magnifiquement beau mais il faut réussir à l’observer. » En effet, nous n’avons discerné que des éclairs brunâtres fuser au-dessus de nos têtes. Thomas nous montre patiemment ce que nous avons raté sur son téléphone portable : un élégant petit oiseau aux couleurs chatoyantes dont je n’imaginais pas vraiment la présence dans une grande ville.
Malheureusement, ces jolies couleurs demeurent également invisibles aux yeux de certains promoteurs qui verraient bien la friche se transformer en quelques 1600 logements de béton… Perspectives plus que décourageantes pour Thomas Jean, photographe d’animaux sauvages en milieu urbain depuis des années. « Au fur et à mesure de mes observations du territoire bruxellois, et de la disparition de zones aussi biologiquement intéressantes que la friche Josaphat, j’ai considéré que j’avais une forme de responsabilité, que je devais être le témoin de la préservation des espèces. »
De là découle la création de « La Minute sauvage », chaîne YouTube consacrée aux animaux qui cohabitent avec les citadins. Renards, martins pêcheurs, chevreuils ou encore faucons pèlerins deviennent les personnages principaux de capsules vidéos dans lesquelles Thomas se met lui-même en scène. « C’est dans l’idée de personnaliser le projet et permettre à certaines personnes de s’identifier. J’avais envie de cette approche inclusive, de rendre cela plus accessible à une jeunesse de plus en plus conscientisée à la question environnementale et l’affaiblissement de la biodiversité. »
En tant qu’observateur de la faune sauvage, Thomas se retrouve régulièrement aux premières loges des conséquences de l’activité humaine : mort d’un animal, destruction de son site de nidification ou de son terrier suite à la construction d’un projet immobilier… Petit à petit, le ton de ses vidéos change, l’émerveillement laisse place à l’engagement, voire au militantisme. « J’ai commencé à expliquer que les choix politiques pouvaient avoir un impact sur la présence de ces espèces et que si on n’envisageait pas une autre manière de penser la ville, on pouvait dire « au revoir » à l’ensemble de ces animaux… On fait partie de cet environnement, on en a besoin. À force de détruire ces espaces-là, c’est nous-mêmes que nous sommes en train de détruire. »
Pourtant, Thomas demeure résolument optimiste. « La solution au problème réside au sein de la population. On a les capacités, les compétences et les moyens de préserver la biodiversité bruxelloise. C’est sur la population que je mise. »