« Je voulais que ça fasse geyser de paillettes »
Dans le grenier de la Bellone, haut-lieu culturel bruxellois, je suis attiré par un mur recouvert d’un collage épars duquel émerge le visage de Franz Kafka… Je ne peux m’empêcher d’évoquer mon admiration pour l’écrivain.
‒ Tu as lu ‘La métamorphose’ ? me demande Camille.
‒ Bien sûr. J’ai adoré le fait que la transformation du personnage révélait surtout toute la monstruosité de sa famille qui le rejetait.
‒ Tiens, j’avais oublié cet aspect. Merci de me le rappeler.
La métamorphose, un thème qui traverse les spectacles de Camille. « Je raconte souvent des histoires avec des loups-garous, des enfants nés avec des oreilles d’éléphant… Un tas de machins un peu fantaisistes qui sont des métaphores de ce qui m’est arrivé, de cette impression de ne pas être conforme, de chercher à être aimé alors qu’on n’arrive pas à s’accepter. »
Camille a dû composer avec un rôle qui n’était pas le sien pendant de nombreuses années. « Quand je suis né, le médecin s’est écrié ‘c’est une fille !’ Tout le monde l’a cru, sauf moi. Mais j’ai quand même joué mon rôle de nana jusqu’à un certain âge… »
Des années plus tard, le cabaret le libère. « Il m’a permis d’être enfin cette personne que je cachais à l’intérieur de moi ». Ce sont d’abord des numéros de strip-tease et de transformisme dans lesquels Camille joue sur son côté androgyne. Après un accident de voiture et un bras dans le plâtre, il crée ensuite de toute pièce un personnage pour continuer à faire du spectacle. Ce sera Nestor, un majordome un peu collet monté qui tient toujours son bras en angle droit.
« C’était une sorte de stage kitten qui ramassait les fringues des strip-teaseuses entre les numéros – faut bien faire le ménage de temps en temps – et qui chantait un peu. » Une véritable révélation pour Camille, enfin libéré de la forme féminine qu’on lui imposait.
Au fur et à mesure des performances, Camille prend conscience qu’il veut assumer ce rôle dans la vie de tous les jours. « Ça a pris du temps. Je ne suis pas un bucheron, je ne suis pas un footballeur. Je crois que si on fait la liste des traits de ma personnalité, il n’y a pas grand-chose qui constitue vraiment des stéréotypes masculins. Mais je me sens garçon, je me sens homme. Voilà, that’s it. »
Depuis sa transition, Camille revient sur son parcours dans ses spectacles et sensibilise aux thématiques féministes et LGBTQI. « Pour conscientiser les gens, il faut partager les histoires, les expériences. Brandir sa colère, sa tristesse, son aigreur, son amertume, c’est hyper légitime.»
Et Camille fait passer son message par le biais de personnages qui, à l’instar de Nestor, cabotinent allègrement. « J’ai beaucoup développé le surjeu au cabaret, le lieu de tous les excès, mais aussi au slam où je me suis permis de craquer mon slip, en faire des tonnes. Je voulais que ça fasse geyser de paillettes ! C’est tellement énorme que tu en sors complètement nettoyé. Quand je lis un texte sur scène, c’est plein de figures de style, de jeux de mots et de blagues qui vont toucher l’imaginaire collectif et ouvrir de nouvelles portes. Il faut que nos esprits se fassent du bien de temps en temps. J’essaie de me faire moi-même cet effet-là sur scène et d’être un passeur, que mes textes aident les gens à dépasser les codes qui nous enferment. »